Chers lecteurs, voici enfin, après trois ans d'annonce et de teasing, la recette tant demandée, celle qui permet de confectionner l'un des meilleurs Phơ (Prononcer : prononcer Feuheu) au boeuf qui soit. Pas moins. Et je peux le dire sans fausse modestie, car elle n'est pas de moi. Elle me vient de ce grincheux de Viet de la Rue Claude Bernard, qui avait ouvert dans la clandestinité la plus totale, derrière des rayonnages de vidéos (il avait détourné le bail de sa boutique de location de vidéos), et à deux pas du Trésor Public, cette petite gargotte d'une dizaine de couverts où il avait servi pendant plus de 10 ans, le meilleur Phơ de la capitale. Les ingrédients utilisés, les techniques mises en oeuvre, l'application déployée mais également les produits d'une qualité hors norme, tout était soigneusement organisé, avec le sérieux si typiquement vietnamien, pour produire cette alchimie, ce bouilllon unique et déliceux, qui malheureusement n'est plus disponible au public aujourd'hui.
J'ai connu le boui-boui dans les années 90 lorsque ma mère me l'a faite découvrir, alors que j'habitais alternativement dans le 13ème et le 5ème arrondissement. Je n'ai pas tout de suite compris à quel point l'expérience était exceptionnelle, l'idée s'est faite certitude au fur et à mesure que je descendais les bols de soupe. C'était juste pour moi le meilleur Phơ de Paris, mais aussi le plus cher et le plus compliqué à déguster: Ce vieux vietnamien bougon, malgré le succès croissant de son Phơ, ne voulait absolument pas agrandir son établissement: Il voulait juste payer les études de son fils, et l'aider à s'installer dans la médecine en lui rachetant un cabinet médical. Toujours râleur, toujours ronchon, mais toujours rigoureux et laborieux, il prenait un malin plaisir à rendre plus rare encore sa fameuse soupe : Il ne pouvait servir qu'un nombre donné de bols par jour, et combien de fois suis-je arrivé trop tard et l'entendais me glisser sans même interrompre son service, qu'il n'y avait plus rien! Vous imaginez sans peine la frustration, pour moi qui venait de me taper 35 minutes de bouchons. Inutile de dire qu'il ne permettait pas non plus qu'on reservat des bols, alors même qu'il avait beaucoup d'affection pour nous, clients réguliers. Alors qu'il n'ouvrait qu'à midi et fermait le dimanche, il décida de fermer également le samedi, puis le lundi. Et quand nous insistions pour qu'il ouvre plus souvent, il nous menaçait carrément de fermer un jour de plus dans la semaine! Jusqu'au jour où il m'annonça que son fils étant installé, il allait tout bonnement fermer le restaurant au public, mais qu'éventuellement, et uniquement sur rendez-vous, il pourrait maintenir une petite activité pour les fidèles des fidèles!
C'est en prévision de la fermeture annoncée, qu'il se mit un jour à distribuer à qui le voulait, la recette de son Phơ Vidéo!. J'en gardais quelques exemplaires par devers moi, mais évidemment, bordélique comme je suis, j'ai eu vite fait de l'égarer. J'y ai très vite converti mes amis et collègues et alors que nous avions amménagés nos bureaux à l'autre bout de Paris, il m'arrivait fréquemment d'organiser une petite équipée de fidèles, prêts à traverser tout Paris pour aller s'asseoir dans ce qui ressemblait (déjà) à une salle d'attente d'un cabinet médical anonyme.
Et puis un jour, je demandais à mon collègue Jan s'il voulait se joindre à nous pour une virée Phơ Vidéo, lorsqu'il m'annonça, sur un ton détaché que je n'oublierai jamais, que le Phơ Vidéo était fermé "pour cause de décès"". Au début, la légèreté du ton me fit croire à une blague d'un goût douteux, mais nous dûmes bien vite nous rendre à l'évidence, nous résigner, car de Phơ Vidéo, il n'y aurait désormais plus.
Ce week-end là, après avoir retourné toute la maison à la recherche des précieux feuillets récupèrés quelques années aupravant, je me rappelle être rentré chez mes parents et avoir fouillé mes "archives" planquées à la cave, hélas sans plus de succès. Sachant que ma mère, ma soeur, toute la famille devait en avoir reçue une copie, je leur ai demandé à tous de faire un gros effort pour remettre la main dessus. Hélas, s'il est une tare que nous partageons tous dans cette famille, c'est bien le sens aïgu du bordel, et ce ne fut donc pas là que la recette miracle refit surface. Non, il me fallut attendre six mois, pour que le jour de mon anniversaire, mon bon vieux Jacky, qui sans être de la famille (quoique), partageait cette même tare congénitale, mais qui en érudit initié, en avait littéralement fait un art de vivre. Bref, pour mon anniversaire, le plus improbable des archivistes, Jacky, me céda la précieuse copie qu'il avait gardé, lui qui n'approche jamais une marmite, si ce n'est pour la vider.
Moi qui aime lire les signes du destin dans ma vie quotidienne, je pris la mesure de celui-ci, et me dépêchais de réunir les plus fidèles membres de cette congrégation du Phơ Vidéo, pour rescuciter le divin bouillon, en suivant très scrupuleusement les indications du précieux manuscrit.
Quand après dix heures de préparation (suivi de 2 heures de nettoyage de la cuisine par ma femme qui a moyennement apprécié) nous étions une petite dizaine réunis autour de la table, s'ennivrant littéralement du fumet incomparable qui s'élevait de chaque bol, nous entrèrent en communion dans une dégustation mémorable, en une véridique ADE (After Death Experience).
Voilà, l'histoire de cette recette, que je vais maintenant vous livrer après ce long préambule. Je vous préviens, la recette est monstrueuse, la recette est compliquée, requiert du matériel et des matières premières difficiles à réunir car elle ne peut se préparer qu'en grande quantité (pas moins de 12 bols). D'ailleurs, elle commence par ces lignes, je le cite :
"Si vous ne prévoyez pas d'utiliser au moins 10 kilos d'os et 2 kilos de plat de côtes, je vous conseillerais de ne pas faire de Pho".
Mais cette soupe que je qualifie d'infusion d'os, (10 kilos pour 12 bols), est riche de nombreux enseignements que vous pourrez utiliser dans d'autres recettes. Personnellement, j'en ai tiré la recette déjà publiée du Pho au poulet, qui est plus simple à réaliser, ne serait-ce que dans les quantités.
===> Pour suivre la recette, c'est ici
Pour finir, si cette recette vous semble trop compliquée, il reste la version light publiée ici, ou celle au poulet au poulet, que j'ai publié ici : La recette de Pho au poulet
Mise à jour du 26 janvier 11 : Comment se procurer 10 kilos d'os ?
Beaucoup de lecteurs me posent la question de savoir comment je fais pour trouver 10 kilos d'os. Certainement pas chez le boucher d'en face qui facture tranquillement 5 €/kilo, pour un produit qui finit à la poubelle dans 75% des cas. Le dernier Pho ne m'a coûté que 12 Euros en os à moëlle.
Explications :
J'ai branché un boucher Hallal chez qui j'ai quelques habitudes côté merguez et agneau, en lui disant de me mettre tous les mardis (jour de l'arrivage des viandes) quelques kilos d'os au congélateur, et de m'appeler lorsqu'il arrivait à 10 kgs. Il ne me les fait même pas payer ! En échange, je m'engage à acheter chez lui le rumsteak et les plats de côtes. Mon ancien boucher, le français installé rue des pyrenées, me les facturait 1 €/kilo, ce qui allait, mais je n'ai pas encore discuté avec le nouveau propriétaire. L'autre jour, comme je m'y étais pris trop tard, il n'avait que 5 kilos. J'ai donc été chez le boucher asiatique en face de Tang Frères, où ils vendent des paquets à 2€/kg. Et voilà, 5 + 3x2 = 11 kgs, ce qui m'a permis, comble du luxe, de pouvoir sélectionner un par uns les os qualifiés pour faire le voyage!
Donc un conseil : faites sourire votre boucher devant l'incongruité de votre infusion d'os, il vous verra différemment et qui sait, ce sera peut-être le début d'une longue amitié. Sachez quand même qu'une fois les carcasses désossées, la plupart des os finissent à la poubelle. Enfin, les bouchers sont beaucoup plus faciles à "attendrir" sur la question des Os à moelle en été qu'en hiver lorsque la saison des pots au feu est passée.
En conclusion: faites copain-copain avec votre boucher, ou attendez l'été pour faire le Pho Vidéo!
Explications :
J'ai branché un boucher Hallal chez qui j'ai quelques habitudes côté merguez et agneau, en lui disant de me mettre tous les mardis (jour de l'arrivage des viandes) quelques kilos d'os au congélateur, et de m'appeler lorsqu'il arrivait à 10 kgs. Il ne me les fait même pas payer ! En échange, je m'engage à acheter chez lui le rumsteak et les plats de côtes. Mon ancien boucher, le français installé rue des pyrenées, me les facturait 1 €/kilo, ce qui allait, mais je n'ai pas encore discuté avec le nouveau propriétaire. L'autre jour, comme je m'y étais pris trop tard, il n'avait que 5 kilos. J'ai donc été chez le boucher asiatique en face de Tang Frères, où ils vendent des paquets à 2€/kg. Et voilà, 5 + 3x2 = 11 kgs, ce qui m'a permis, comble du luxe, de pouvoir sélectionner un par uns les os qualifiés pour faire le voyage!
Donc un conseil : faites sourire votre boucher devant l'incongruité de votre infusion d'os, il vous verra différemment et qui sait, ce sera peut-être le début d'une longue amitié. Sachez quand même qu'une fois les carcasses désossées, la plupart des os finissent à la poubelle. Enfin, les bouchers sont beaucoup plus faciles à "attendrir" sur la question des Os à moelle en été qu'en hiver lorsque la saison des pots au feu est passée.
En conclusion: faites copain-copain avec votre boucher, ou attendez l'été pour faire le Pho Vidéo!